On a le sentiment que notre système de santé, en France, est en plein bouillonnement : les nombreux débats qui l’agitent sont-ils symptomatiques d’une faillite annoncée de « l’accès aux soins pour tous » ?
Bertrand Da Ros, directeur général de la mutuelle SMI
Je ne suis pas en mesure de vous le dire. En revanche, je comprends pourquoi ces débats ont lieu. L'objectif annoncé du gouvernement traduit dans les textes de la loi sur la sécurisation de l'emploi et dans le décret à venir portant sur le contrat responsable vise à pérenniser l’accès aux soins universel. Dans les faits, il risque pourtant d'en être autrement puisqu'il se dessine, avec la mise en place d'une couverture complémentaire réduite pour tous, une situation où les salariés devront souscrire un contrat individuel surcomplémentaire, afin de conserver le même niveau de couverture qu’auparavant. Si le prix des soins ne baisse pas de façon corrélée avec l'application de ces mesures, le reste à charge pour l'assuré augmentera, entrainant ainsi le renoncement aux soins de ceux n’étant pas en mesure économiquement de souscrire un tel contrat.
La diminution tendancielle des capacités de remboursement du régime général de l’assurance maladie est-elle nécessairement profitable aux organismes complémentaires ?
Ce transfert de charge ne nous est pas favorable. À court terme, il se traduit certes par une augmentation de nos cotisations. Mais à moyen terme, il rend insupportable le coût de cette cotisation aux assurés et les détourne donc d'une assurance complémentaire pour privilégier l'autoassurance. N'oublions pas que vient s'ajouter à l'impact de ce transfert l'augmentation des taxes passées en 7 ans de 1,75 % à 13,27 % pour les contrats responsables et 20,27 % pour les non-responsables. En d’autres termes, l’assurance complémentaire est de plus en plus couteuse pour les assurés. Dans ces conditions, les plus fragiles d’entre eux sur le plan financier ne peuvent que se résoudre à s’en passer.
Les coûts de fonctionnement des assureurs complémentaires permettent-ils de proposer des contrats compétitifs et accessibles aux publics les moins favorisés ?
Je ne peux pas m'exprimer au nom des autres assureurs. Pour ce qui de SMI, les frais de gestion y sont inférieurs à 13 %. Ce qui signifie que pour 100 euros de cotisation, au moins 87 euros reviennent à l’adhérent sous forme de prestations. Nous poursuivons depuis plusieurs années maintenant cette stratégie de maîtrise des coûts qui nous permet de proposer un niveau de couverture-prix parmi les plus compétitifs.
Comment se manifeste, très concrètement, la solidarité d’un assureur complémentaire comme SMI à l’égard de ses adhérents ?
Cette solidarité est inscrite au cœur même de l’organisation de la mutuelle. En tant qu’organisme à but non lucratif, SMI ne rémunère pas d’actionnaires. Cela signifie que tous les bénéfices sont réutilisés au profit des adhérents. Plus largement, la solidarité découle des valeurs mutualistes de SMI, ce qui se traduit par diverses prises d’initiative. Chaque année, SMI alloue par exemple un budget au titre de l’action sociale. Ce budget est destiné à venir en aide à nos adhérents les plus démunis ou confrontés à une difficulté passagère. Cette action sociale intervient pour les aider à rembourser des soins non compris dans leur contrat et qu’ils ne pourraient prendre en charge sans notre aide.
Vous êtes partenaires d’ATD Quart Monde en faveur des plus démunis. Comment la précarité se manifeste-t-elle, en matière d’accès à la santé, et comment progresse-t-elle selon vous ?
Au-delà de l'incapacité pour une personne de payer une assurance complémentaire santé, la précarité peut se traduire par l'incapacité à solliciter des dispositifs d'aides sociales permettant d'être assuré sans condition de ressources. L’isolement qui accompagne la précarité des publics les plus durement touchés conduit certains à s’auto-exclure du bénéfice de la Couverture Maladie Universelle, la CMU complémentaire, ou l’aide à l’acquisition d’une couverture maladie complémentaire. Faute de bénéficier de ces dispositifs, de nombreuses personnes en situation de grande détresse sociale renoncent à se soigner. Ces populations sont les plus concernées par l'affaiblissement, et le décès par la maladie. C’est un phénomène préoccupant par lequel nous nous sentons évidemment concernés en notre qualité d’assureur mutualiste.
L’obligation pour les employeurs de souscrire une complémentaire santé pour leurs salariés a été entérinée par la loi sur la Sécurisation de l’emploi. Cela annonce-t-il le début d’une refonte majeure de notre système de santé ?
C'est probable. Cela pourrait se concrétiser selon plusieurs scénarii possibles. Il n’est par exemple pas impossible que l’on assiste dans les prochains mois à un transfert de charges massif du régime obligatoire vers les régimes complémentaires. La redéfinition du rôle de la sécurité sociale en vue de son recentrage sur les risques lourds et la dépendance avec une intervention des organismes complémentaires sur le reste des dépenses est également un développement qui me paraît plausible. Il se pourrait enfin que le régime général, dont la couverture aura été entretemps totalement standardisée, organise et pilote la prise en charge de la part complémentaire de niveau 1. Ce qui ne laisserait une liberté aux assureurs complémentaires que pour l’assurance et la gestion de niveau 2.
Pensez-vous que le nouveau contrat responsable, très débattu entre les acteurs du secteur, changera votre manière de travailler ?
Oui, c'est probable. Le plafonnement des contrats responsables est susceptible de nous encourager à proposer à nos adhérents assurés au titre de contrat collectif avec participation de leur employeur de souscrire, indépendamment, un contrat individuel comprenant des garanties supplémentaires. Il y a en effet fort à parier qu’une partie de ces assurés souhaitera être couverte pour les dépenses allant au-delà du plafond imposé par la réglementation. Un développement des activités surcomplémentaires est donc à anticiper.
Si vous deviez émettre des propositions pour améliorer l’accès aux soins et l’égalité devant la santé, lesquelles seraient-elles ?
Il me semble aujourd’hui capital de renforcer l'efficience opérationnelle des établissements hospitaliers. Par ailleurs, je demeure convaincu qu’il est préférable de ne pas plafonner les couvertures de soins et de laisser les organismes d'assurance négocier des conditions tarifaires auprès de tous les professionnels de santé, et pas seulement avec une petite partie d’entre eux. Mettre en œuvre des franchises dont le montant est indexé sur le niveau de revenu de l'assuré me semble enfin être une mesure souhaitable si l’on souhaite favoriser l’accès aux soins.