Christian Pierret : « L’atout nucléaire procure un avantage compétitif aux entreprises françaises »




Christian Pierret a une vision large de la question énergétique en France. Entrepreneur, il est ainsi membre du conseil d’administration de plusieurs start-ups françaises et Président du Think tank Vista-Energies. Ancien ministre de l’Industrie sous le gouvernement Jospin, il fut aussi l’un des acteurs de la création d’Areva, devenue fer de lance du nucléaire français. C’est à travers le prisme de ces expériences que cet homme de gauche pragmatique envisage l’avenir industriel de la France. Pour Christian Pierret, cet avenir est indissociable des enjeux énergétiques.



Entreprises & Décideurs : Monsieur le Ministre, quelles sont, selon vous, les filières qui se profilent comme les futurs piliers du secteur énergétique en France ?

Christian Pierret : La question de l’énergie est devenue centrale dans la problématique du réchauffement climatique. Et notre pays s’est engagé dans la voie d’une économie moins carbonée dans le cadre des objectifs environnementaux définis par le Grenelle de l’Environnement. Une transition énergétique, s’éloignant des énergies fossiles (pétrole et charbon), dans une moindre mesure du gaz (moins émetteur de GES et nécessaire pour assurer les « pointes » temporaires de consommation), parait alors indispensable. Elle doit viser aussi à renforcer notre indépendance énergétique, vis-à-vis des importations en provenance de pays dont la stabilité politique n’est pas assurée. Elle représente également une opportunité économique : mobiliser une part importante de la facture actuelle des énergies fossiles pour investir dans la décarbonisation de notre économie.

Dans un avenir proche, le mix énergétique français fera une plus grande place aux énergies nouvelles renouvelables d’origine solaire et éolienne, auxquelles il faut ajouter les énergies maritimes –comme les hydroliennes utilisant la force des courants marins- et la biomasse. Ces sources d’énergie pourront conquérir leur place dans le paysage énergétique français à la condition qu’elles soient issues d’une intense innovation accroissant leur productivité et répondant aux aléas météorologiques dont certaines EnR sont fortement tributaires.

Non-émetteur de GES, le nucléaire occupera toujours une place prépondérante dans ce nouveau mix, car il répond bien à la fois à la question environnementale, à celle du coût de production le plus faible et à celle, stratégique, de l’indépendance énergétique. Comme pour les EnR, il est primordial de poursuivre nos efforts de recherche : le traitement des déchets par transmutation des éléments les plus radioactifs, la fusion nucléaire (sur le site ITER de Cadarache) qui permettra la production d’une énergie propre et totalement sûre d’ici un horizon raisonnable de 30 ou 40 ans. Il est par ailleurs nécessaire de mener à son terme la construction de l’European pressurized reactor (EPR), commencé à Flamanville, qui permettra une nouvelle amélioration de la technologie nucléaire (sûreté multipliée par un facteur de dix, volume des déchets divisé par trois).

Enfin, le gaz de schiste semble offrir des opportunités. Pour ne prendre qu’un exemple, la « révolution du gaz de schiste » est à l’origine d’un renouveau industriel aux Etats-Unis, qui, désormais, exportent une grande partie de leur charbon. Il convient d’accompagner une éventuelle exploitation en France par d’autres techniques d’exploitation, plus respectueuses de l’environnement, même si nous savons qu’aujourd’hui exactement les mêmes techniques sont utilisées pour la géothermie à Soultz par exemple.

Le mix énergétique de demain reposera donc sur une part d’énergie nucléaire, qui sera moins importante mais toujours prépondérante. Les énergies renouvelables telles que la biomasse, le solaire, l’éolien, la houle marine et les courants marins occuperont une plus grande place. Sans oublier le gaz de schiste qui demeure une potentialité à ne pas écarter.

Entreprises & Décideurs : À quelles difficultés les entreprises du secteur des énergies sont-elles particulièrement exposées en ces temps de crise ?

Christian Pierret : Dans l’énergie, il y a surtout des potentialités et beaucoup d’espoir. Ce secteur exprime un besoin énorme en recherche et innovation et c’est le financement de la recherche et développement qui constitue la principale difficulté pour les entreprises. La décroissance des efforts financiers dédiés à l’innovation dans ce secteur serait une grave erreur pour un pays qui reste la référence mondiale. Or, en temps de crise économique, l’accès au financement, en particulier issu du budget de l’Etat, n’est pas simple. Il revient à l’Etat-stratège de ne pas fléchir sur ces dépenses d’avenir et de créer les conditions favorables à ce déploiement par la mise en place prioritaire d’une politique industrielle dans ce secteur.

Entreprises & Décideurs : Dans un pareil contexte, comment la France tire-t-elle aujourd’hui avantage de son savoir-faire en matière d’énergie nucléaire ?

Christian Pierret : La France doit conserver son leadership mondial acquis par soixante ans d’efforts. Notre maîtrise technique de la filière du nucléaire est remarquable. Parmi quelques pépites françaises de niveau mondiale (aéronautique, transports terrestres, pharmacie, agroalimentaire, etc.), le nucléaire occupe un rang privilégié. L’excellence d’Areva est reconnue de par le monde, mais, comme EDF et les centaines entreprises du secteur, elle doit faire face aujourd’hui aux conséquences de l’accident de Fukushima, qui a freiné certains projets.

Il serait suicidaire de sacrifier un de nos points d’excellence mondiale en innovation, au profit de postures idéologiques. Des milliers de PME, 410 000 emplois directs, indirects et induits dans la filière, des milliers de brevets sont en jeu. A l’heure où d’autres pays, comme l’Allemagne, renoncent à cette excellence, il ne serait pas sensé pour nous d’abandonner nos avantages comparatifs, surtout en période de crise économique. Dans ce secteur, le « made in France », c’est mieux qu’un slogan, c’est une percée mondiale !

Entreprises & Décideurs : En quoi cette avance technologique est-elle aussi déterminante pour l’avenir industriel de France aujourd’hui ?

Christian Pierret : L’atout nucléaire procure un avantage compétitif aux entreprises françaises. Les clients industriels électro-intensifs bénéficient de prix raisonnables sur le marché de gros, les consommateurs profitent aussi des coûts de production électrique les plus bas d’Europe. Pour la compétitivité de l’industrie française, l’électro-nucléaire représente une bouffée d’oxygène, comme le souligne le Rapport Gallois.

Entreprises & Décideurs : La France peut-elle raisonnablement espérer devenir un pôle technologique mondial en matière d’énergie ?

Christian Pierret : L’énergie est un levier de relance économique par l’exportation de nos acquis techniques, donc pour redresser les déséquilibres de la balance commerciale. La France doit tout faire pour rester parmi les premières nations en matière d’énergie. C’est un défi qui doit être relevé avec enthousiasme : l’excellence met cinquante ans à se construire et cinq ans à se perdre. Pour développer les Nouvelles Technologies de l’Energie (NTE), nous devons favoriser l’émergence de poids lourds industriels et mieux soutenir ceux qui se sont déjà frayés un chemin. L’Etat pourrait ainsi lancer un Plan national d’investissement sur les technologies énergétiques d’avenir car elles sont sources de croissance et d’exportations de notre savoir-faire technologique, de notre créativité, de notre « savoir-inventer ». Elles représentent un nombre considérable d’emplois : 100 000 emplois nouveaux et qualifiés à moyen terme (auxquels il faudra sans doute ajouter les emplois créés par l’exploitation du gaz de schiste) sont à attendre de l’essor des énergies vertes.

La France peut également jouer un rôle d’entraînement pour la mise sur pied d’une véritable politique énergétique européenne, appui d’une croissance plus compétitive pour les trente années qui viennent. La prochaine politique énergétique conciliera compétitivité de la fourniture, défi environnemental et impératif de sécurité d’approvisionnement. Il ne faut pas lâcher prise pour rester le pays des entreprises de référence.


8 Mars 2013