Des visiteurs dans le tunnel expérimental de l'Andra à Bure. Photo Aurélien Glabas, Flickr, Creative Commons
Grand tunnel sous-marin du Fehmarnbelt, avec ses 18 kms entre l’Allemagne et le Danemark, Vegas loop d’Elon Musk avec ses 47 kms et 51 stations pour véhicules Tesla uniquement, grand métro de Doha avec son budget de 16 milliards d’Euros, l’actualité mondiale des travaux souterrains fourmille de projets et de superlatifs.
Et la France n’est pas en reste, entre les presque 200 kms du Grand Paris Express, la partie française du TELT évoquée à l’instant, ou encore, travaux plus pointus et encore plus exigeants, les expérimentations d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure, à près de 500 mètres de profondeur.
Dans le secteur du BTP, qui comme toute l’économie française, a connu les vicissitudes de la crise Covid, le bilan des travaux souterrains est très positif. «On tourne depuis déjà deux ans autour de 1,8 milliard. Autrement dit, il y a eu une multiplication par plus de trois de l'activité», se félicitait il y a un an Michel Deffayet, président de l'Association française des tunnels et de l'espace sous-terrain (AFTES). Une perspective qui a de beaux jours devant elle, avec des projets phares comme les transports urbains de Marseille et de Toulouse, car la solution des souterrains présente de multiples avantages.
Une solution pertinente
Dans des espaces densément urbanisés, il s’agit d’intégrer au mieux des infrastructures nouvelles, en limitant les interférences avec des réseaux de transport arrivés le plus souvent à saturation, ainsi que les nuisances occasionnées aux riverains, et à toutes les activités métropolitaines. Non seulement pendant la phase des travaux, mais aussi pendant l’exploitation, comme le souligne Bernard Cathelain, membre du directoire de la Société du Grand Paris (SGP), l’organisme en charge du mégaprojet éponyme : « La sensibilité aux nuisances, qui sont réelles, aujourd’hui, n’est plus du tout la même. Le fait d’avoir un métro qui passe sous ses fenêtres, ce n’est pas quelque chose qu’aujourd’hui on est prêt à accepter. »
Pour le franchissement des barrières naturelles, comme les massifs montagneux peu pénétrables en surface (cas du TELT au travers des Alpes), ou des bras de mer très fréquentés par la navigation commerciale (hier le Pas-de-Calais, aujourd’hui le Danemark), le tunnel se présente aussi comme une solution optimale, offrant le moins d’interférences avec d’autres activités.
Enfin, et peut-être surtout, à une époque où s’imposent les attentes sociétales de réduction des empreintes humaines, recourir aux travaux souterrains permet de limiter l’artificialisation des sols, et préserve davantage la biodiversité, tout en laissant les superficies épargnées à leur destination initiale, espaces naturels ou agricoles.
Des travaux coûteux car complexes
Des avantages indiscutables, donc, mais que le commanditaire paye au prix fort. Toujours pour le Grand Paris Express (GPE), « Sur une section donnée, on peut tripler le coût du génie civil en étant en souterrain, précise B. Cathelain. Sur la ligne 18, (pour la mise en souterrain de 8 km), on avait de 200 à 300 millions d’euros en surcoûts ».
En effet, les travaux souterrains sont complexes, puisqu’il s’agit de créer une infrastructure dans du « plein », au lieu d’occuper un espace vide, en s’y aventurant, non pas à l’aveugle, mais avec un éventail de techniques permettant de savoir où l’on va et d’adopter les processus idoines de creusement, puis de construction, au mieux des délais, des coûts et de la sécurité.
Pour y parvenir, une des phases initiales essentielles est donc de connaitre le plus précisément possible la géologie du sous-sol à traverser. Dans certaines configurations, comme le passage sous des reliefs importants, seules des reconnaissances physiques permettent de se faire une idée définitive de la nature des sols rencontrés, et notamment de la complémentarité entre creusement classique, avec recours aux explosifs, et emploi de tunneliers. C’est ce qui explique le recours à des ouvrages de reconnaissance, comme dans le cas du TELT où quatre « descenderies » permettront de confirmer les travaux préalables des géologues.
L’identification des sous-sols revêt aussi une importance cruciale dans les logiques d’optimisation des chantiers, en termes de délais, et en termes de réduction de l’empreinte carbone. Préoccupation qui prend tout son sens pour un projet aussi gigantesque que le GPE, où l’on table sur 48 millions de tonnes de matériaux à excaver. Pour le seul Lot1 de la ligne 16, cela représente 4500 tonnes quotidiennes. C’est pour cette raison qu’Eiffage Génie Civil, en charge de ce chantier, a développé avec le CEA l’outil Carasol, qui caractérise la nature des déblais excavés des tunnels en deux heures au lieu d’une semaine auparavant. Un progrès déterminant à plusieurs titres, comme le souligne Pascal Hamet, directeur des travaux sur ce lot de la ligne 16 selon qui « le système Carasol permet des gains de temps, et une réduction à la fois de notre empreinte carbone et des frais de fonctionnement des chantiers ». Cette innovation évite en effet le stockage de quantités importantes de matériaux, et donc l’emprise sur la voie publique, et permet leur réaffectation optimisée, comme matériau sur le même chantier ou un autre, ou à tout autre usage.
On retrouve le même souci de réemploi, recyclage et de circuit court sur le chantier du TELT, où le groupement franco-italien emmené par Spie a fait l’acquisition d’anciennes usines à proximité des descentes, et où les matériaux extraits sont triés et réutilisés dans la mesure du possible, notamment pour la fabrication des voussoirs, ces arcs de cercle en béton utilisés pour construire les galeries avec les tunneliers.
Un univers de technologies et d’innovation
Car la part du lion dans la construction des tunnels revient désormais, quand la géologie s’y prête, à ces véritables usines mobiles « dernier cri » que sont les tunneliers. Ils assurent le creusement des galeries, l’évacuation des gravats, et la mise en place des fameux voussoirs pour réaliser l’infrastructure proprement dite. Pour le GPE, ce sont pas moins de 22 tunneliers qui ainsi été mobilisés, à l’instar d’« Armelle », avec ses 100 m. de long, ses 1500 tonnes, et son équipage de 23 compagnons, un des neuf tunneliers mis en œuvre pour le creusement de la Ligne 16.
Si les travaux sous des obstacles naturels comme les Alpes font face à une grande complexité géophysique, les travaux en zone urbaine sont confrontés à d’autres types d’imprévus. C’est le cas à grande échelle en Ile de France, puisque les tunnels du GPE doivent se faufiler entre de multiples réseaux très denses : tous types de fluides, télécommunications, mais aussi égouts, anciennes carrières, voire… catacombes. De plus, comme le note Emmanuel Egal, expert géologue de la société Egis, « à Paris, non seulement on dispose déjà d’un réseau de transports souterrain – ce qui nécessite de creuser plus profondément pour que les tunneliers passent dessous –, mais en plus, il convient de redoubler de précautions pour bien tenir compte du bâti en surface ». Pour surveiller les « réactions » des sous-sols aux travaux de creusement, et leurs conséquences sur le bâti, et prendre en temps contraint des mesures de sauvegarde, la SGP a recours à l’imagerie satellitaire, notamment avec l’entreprise Tre Altamira, qui assure par interférométrie l’exploitation de données relatives aux tassements des sols.
La haute technologie est également au cœur de la R&D des travaux souterrains. Alors que l’énergie nucléaire connait un fort regain d’intérêt, l’Andra, l’Agence Nationale pour la gestion des déchets radioactifs, mène des recherches de long terme dans le cadre de Cigéo le projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure dans la Meuse. Il s’agit notamment de construire des galeries aptes à confiner des matériaux radioactifs pendant des durées allant jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’année. Pour cela, Eiffage génie civil réalise déjà une première galerie-test de 2 kms qui combine des qualités de stabilité, de résistance et d’étanchéité à la hauteur des enjeux, le tout à… près de 500m de profondeur. Par ailleurs, comme l’explique Frédéric Plas, directeur R&D de l’Andra : « "il n’y aura pas d’intervention humaine dans la zone de stockage nucléaire, tout sera robotisé au maximum". Ses équipes testent donc, dans ce milieu confiné, le potentiel de Spot, un robot-chien (en raison de son apparence), en termes de recueil, de transmission et d’exploitation de données par l’intelligence artificielle et la 5G.
Nul doute que ces derniers développements contribueront à améliorer encore l’offre des entreprises françaises expertes en travaux souterrains, et à les placer en position de force pour répondre aux appels d’offre de la décennie à venir.
Et la France n’est pas en reste, entre les presque 200 kms du Grand Paris Express, la partie française du TELT évoquée à l’instant, ou encore, travaux plus pointus et encore plus exigeants, les expérimentations d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure, à près de 500 mètres de profondeur.
Dans le secteur du BTP, qui comme toute l’économie française, a connu les vicissitudes de la crise Covid, le bilan des travaux souterrains est très positif. «On tourne depuis déjà deux ans autour de 1,8 milliard. Autrement dit, il y a eu une multiplication par plus de trois de l'activité», se félicitait il y a un an Michel Deffayet, président de l'Association française des tunnels et de l'espace sous-terrain (AFTES). Une perspective qui a de beaux jours devant elle, avec des projets phares comme les transports urbains de Marseille et de Toulouse, car la solution des souterrains présente de multiples avantages.
Une solution pertinente
Dans des espaces densément urbanisés, il s’agit d’intégrer au mieux des infrastructures nouvelles, en limitant les interférences avec des réseaux de transport arrivés le plus souvent à saturation, ainsi que les nuisances occasionnées aux riverains, et à toutes les activités métropolitaines. Non seulement pendant la phase des travaux, mais aussi pendant l’exploitation, comme le souligne Bernard Cathelain, membre du directoire de la Société du Grand Paris (SGP), l’organisme en charge du mégaprojet éponyme : « La sensibilité aux nuisances, qui sont réelles, aujourd’hui, n’est plus du tout la même. Le fait d’avoir un métro qui passe sous ses fenêtres, ce n’est pas quelque chose qu’aujourd’hui on est prêt à accepter. »
Pour le franchissement des barrières naturelles, comme les massifs montagneux peu pénétrables en surface (cas du TELT au travers des Alpes), ou des bras de mer très fréquentés par la navigation commerciale (hier le Pas-de-Calais, aujourd’hui le Danemark), le tunnel se présente aussi comme une solution optimale, offrant le moins d’interférences avec d’autres activités.
Enfin, et peut-être surtout, à une époque où s’imposent les attentes sociétales de réduction des empreintes humaines, recourir aux travaux souterrains permet de limiter l’artificialisation des sols, et préserve davantage la biodiversité, tout en laissant les superficies épargnées à leur destination initiale, espaces naturels ou agricoles.
Des travaux coûteux car complexes
Des avantages indiscutables, donc, mais que le commanditaire paye au prix fort. Toujours pour le Grand Paris Express (GPE), « Sur une section donnée, on peut tripler le coût du génie civil en étant en souterrain, précise B. Cathelain. Sur la ligne 18, (pour la mise en souterrain de 8 km), on avait de 200 à 300 millions d’euros en surcoûts ».
En effet, les travaux souterrains sont complexes, puisqu’il s’agit de créer une infrastructure dans du « plein », au lieu d’occuper un espace vide, en s’y aventurant, non pas à l’aveugle, mais avec un éventail de techniques permettant de savoir où l’on va et d’adopter les processus idoines de creusement, puis de construction, au mieux des délais, des coûts et de la sécurité.
Pour y parvenir, une des phases initiales essentielles est donc de connaitre le plus précisément possible la géologie du sous-sol à traverser. Dans certaines configurations, comme le passage sous des reliefs importants, seules des reconnaissances physiques permettent de se faire une idée définitive de la nature des sols rencontrés, et notamment de la complémentarité entre creusement classique, avec recours aux explosifs, et emploi de tunneliers. C’est ce qui explique le recours à des ouvrages de reconnaissance, comme dans le cas du TELT où quatre « descenderies » permettront de confirmer les travaux préalables des géologues.
L’identification des sous-sols revêt aussi une importance cruciale dans les logiques d’optimisation des chantiers, en termes de délais, et en termes de réduction de l’empreinte carbone. Préoccupation qui prend tout son sens pour un projet aussi gigantesque que le GPE, où l’on table sur 48 millions de tonnes de matériaux à excaver. Pour le seul Lot1 de la ligne 16, cela représente 4500 tonnes quotidiennes. C’est pour cette raison qu’Eiffage Génie Civil, en charge de ce chantier, a développé avec le CEA l’outil Carasol, qui caractérise la nature des déblais excavés des tunnels en deux heures au lieu d’une semaine auparavant. Un progrès déterminant à plusieurs titres, comme le souligne Pascal Hamet, directeur des travaux sur ce lot de la ligne 16 selon qui « le système Carasol permet des gains de temps, et une réduction à la fois de notre empreinte carbone et des frais de fonctionnement des chantiers ». Cette innovation évite en effet le stockage de quantités importantes de matériaux, et donc l’emprise sur la voie publique, et permet leur réaffectation optimisée, comme matériau sur le même chantier ou un autre, ou à tout autre usage.
On retrouve le même souci de réemploi, recyclage et de circuit court sur le chantier du TELT, où le groupement franco-italien emmené par Spie a fait l’acquisition d’anciennes usines à proximité des descentes, et où les matériaux extraits sont triés et réutilisés dans la mesure du possible, notamment pour la fabrication des voussoirs, ces arcs de cercle en béton utilisés pour construire les galeries avec les tunneliers.
Un univers de technologies et d’innovation
Car la part du lion dans la construction des tunnels revient désormais, quand la géologie s’y prête, à ces véritables usines mobiles « dernier cri » que sont les tunneliers. Ils assurent le creusement des galeries, l’évacuation des gravats, et la mise en place des fameux voussoirs pour réaliser l’infrastructure proprement dite. Pour le GPE, ce sont pas moins de 22 tunneliers qui ainsi été mobilisés, à l’instar d’« Armelle », avec ses 100 m. de long, ses 1500 tonnes, et son équipage de 23 compagnons, un des neuf tunneliers mis en œuvre pour le creusement de la Ligne 16.
Si les travaux sous des obstacles naturels comme les Alpes font face à une grande complexité géophysique, les travaux en zone urbaine sont confrontés à d’autres types d’imprévus. C’est le cas à grande échelle en Ile de France, puisque les tunnels du GPE doivent se faufiler entre de multiples réseaux très denses : tous types de fluides, télécommunications, mais aussi égouts, anciennes carrières, voire… catacombes. De plus, comme le note Emmanuel Egal, expert géologue de la société Egis, « à Paris, non seulement on dispose déjà d’un réseau de transports souterrain – ce qui nécessite de creuser plus profondément pour que les tunneliers passent dessous –, mais en plus, il convient de redoubler de précautions pour bien tenir compte du bâti en surface ». Pour surveiller les « réactions » des sous-sols aux travaux de creusement, et leurs conséquences sur le bâti, et prendre en temps contraint des mesures de sauvegarde, la SGP a recours à l’imagerie satellitaire, notamment avec l’entreprise Tre Altamira, qui assure par interférométrie l’exploitation de données relatives aux tassements des sols.
La haute technologie est également au cœur de la R&D des travaux souterrains. Alors que l’énergie nucléaire connait un fort regain d’intérêt, l’Andra, l’Agence Nationale pour la gestion des déchets radioactifs, mène des recherches de long terme dans le cadre de Cigéo le projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure dans la Meuse. Il s’agit notamment de construire des galeries aptes à confiner des matériaux radioactifs pendant des durées allant jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’année. Pour cela, Eiffage génie civil réalise déjà une première galerie-test de 2 kms qui combine des qualités de stabilité, de résistance et d’étanchéité à la hauteur des enjeux, le tout à… près de 500m de profondeur. Par ailleurs, comme l’explique Frédéric Plas, directeur R&D de l’Andra : « "il n’y aura pas d’intervention humaine dans la zone de stockage nucléaire, tout sera robotisé au maximum". Ses équipes testent donc, dans ce milieu confiné, le potentiel de Spot, un robot-chien (en raison de son apparence), en termes de recueil, de transmission et d’exploitation de données par l’intelligence artificielle et la 5G.
Nul doute que ces derniers développements contribueront à améliorer encore l’offre des entreprises françaises expertes en travaux souterrains, et à les placer en position de force pour répondre aux appels d’offre de la décennie à venir.