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Carrefour City, un cas emblématique de la bataille des salariés du dimanche





Les débats continuent de faire rage entre partisans et opposants au travail nocturne et dominical. Entre d’un côté ceux qui en appellent au strict respect de la loi et de l’autre, ceux qui invoquent liberté de choix et pouvoir d’achat, les échanges houleux tendent à laisser dans l’ombre ceux qui font les frais, au quotidien, d’un débat de plus en plus idéologique.



La façade de la Gare Saint-Lazare - Crédit photo : Moonik
La façade de la Gare Saint-Lazare - Crédit photo : Moonik

La question du choix

"Vous trouverez toujours quelqu'un qui veut travailler le dimanche ou la nuit », affirme non sans ironie Jean-Claude Mailly, délégué général de Force Ouvrière, pour rejeter les arguments des employeurs expliquant répondre aussi à un besoin des salariés. Mais Jean-Claude Mailly a littéralement raison : certains salariés l’acceptent parce qu’ils le veulent bien. Etudiants, salariés cumulant plusieurs emplois, ou parents isolés… les travailleurs du dimanche et de la nuit ont généralement de bonnes raisons de le faire. Et parmi eux, il y a aussi ceux qui se saisissent simplement d’une occasion de gagner plus, dans l’indifférence des horaires proposés. Le travail en horaires décalés, parce qu’il autorise la souplesse dans un emploi du temps chargé et permet d’arrondir un peu les fins de mois, peut aussi être vécu comme une opportunité, plus qu’une contrainte. Choisi ou subi, le travail nocturne ou dominical a ses avantages et ses inconvénients. Il n’est pas réductible exclusivement aux uns ou aux autres.
 
Le choix n’est pas pour autant une question propre aux salariés ou aux dirigeants des enseignes concernées : les consommateurs ont également un avis sur la question. Ils semblent pourtant peu écoutés alors que 80% d’entre eux se déclarent favorable à l’ouverture dominicale des magasins de bricolage. Et au-delà des seules enseignes de bricolage, le consensus autour de plus flexibilité des horaires légaux de travail gagne du terrain depuis 20 ans. Entre 59% et 64% des Français considèrent par ailleurs qu’autoriser le travail le dimanche et le soir est un pas vers « plus de libertés ».

Des oppositions de principes

Il n’y a véritablement qu’une seule chose sur laquelle l’ensemble des parties prenantes est d’accord : la loi Maillé de 2009 n’a fait que complexifier un peu plus une législation labyrinthique et confuse. Il est vrai que les dérogations au repos nocturne et dominical sont déjà nombreuses : services d’urgence, petits commerces alimentaires sans salariés, enseignes de jardinage, attractions touristiques… Un sentiment d’inégalité et d’injustice domine les débats, quel que soit le point de vue.
 
A l’origine des premières réclamations, une enseigne de bricolage, Bricorama, qui accusait ses concurrents Castorama et Leroy Merlin, ouvrant le dimanche, de pratiques anti-concurrentielles. La justice lui donna raison et condamna les fautifs à de lourdes indemnités de dédommagements. Il n’en fallait pas plus pour que certains syndicats se lancent dans la bataille, convaincu d’avoir la justice de leur côté, mais également interpellés par les indemnités en cas de victoire judiciaire. Avec un nombre d’adhérents en diminution constante, les syndicats peinent à se financer, y compris pour répondre aux procédures judiciaires à leur encontre : des bricoleurs du dimanche, aux salariés du parfumeur Sephora des Champs-Elysées, l’action des syndicats est vertement critiquée par les salariés qu’ils sont censés défendre et qui dénoncent « une situation aberrante compte tenu de la situation économique actuelle ». L’action syndicale va-t-elle venir s’ajouter à la liste des victimes du travail dominical ? Quoiqu’il en soit, les syndicats poursuivent sur leur lancée et l’intersyndical du commerce s’attaque désormais aux supermarchés urbains, comme Monoprix ou Carrefour City, sur la question des ouvertures nocturne et dominicale.

Carrefour City Saint Lazare : quand les salariés montent au créneau

Pour d’autres enseignes, pas ou peu de présence syndicale. Dans ces petites structures ouvertes jusque tard le soir ou une partie du dimanche,  se rencontre simplement une volonté des salariés de défendre leur travail, particulièrement dans le cas du Carrefour City de la gare Saint-Lazare. Point d’action revendicative à l’origine des injonctions de fermeture, mais une décision du Tribunal de Grande Instance, contre laquelle s’élèvent les salariés : « les salariés ont pris l’initiative de se battre contre cette décision. Le gérant n’est pas associé à ce recours, que nous allons déposer la semaine prochaine », expliquent-ils à Liberation. Ils ont d’ailleurs écrit au Ministre du travail Michel Sapin et au préfet pour dénoncer l’absurdité de l’application bornée de la réglementation. Pour le gérant Franck Palizzotto, cette décision de justice aura surtout pour conséquence « une suppression de neuf emplois, tous volontaires pour travailler le dimanche et le soir après 21 heures, et une perte de plus d'un quart du chiffre d'affaires ». Dans une gare accueillant des centaines de milliers de voyageurs par jour, la décision choque les habitués : personne ne comprend qu’un lieu fréquenté quasiment à toute heure du jour et de la nuit ne permette pas en même temps l’ouverture des magasins. Une pétition qui a recueilli  plus de 2000 signatures a même été réalisée en ce sens. Pas surprenant lorsque l’on sait que « Le magasin répond à une forte demande des consommateurs, notamment des voyageurs en transit et accueille plus de 2600 clients chaque dimanche et 300 clients après 21 heures chaque jour » d’après le groupe Carrefour. Derrière la volonté affichée de défendre les salariés et les petits commerces, se met surtout en place une économie à deux vitesses : seuls les plus grands magasins peuvent se permettre de payer des amendes en bravant l’interdiction, ce dont le Carrefour City de Saint Lazare n’a pas les moyens. Un allié de poids s’est récemment manifesté avec les déclarations récentes du président de la SNCF, Guillaume Pepy, qui invoque la question de la sécurité : une gare sans commerces ouverts est un endroit où le sentiment d’insécurité est plus fort.
 
La défense de principes remontant au début du siècle dernier s’avère au final plutôt contre-productive, au détriment des salariés, de l’emploi, des petites enseignes et des consommateurs, qui eux aussi n’ont pas forcément le choix de leurs horaires. Une seule chose est au final tenue pour évidente : la nécessité d’une refonte d’une législation obsolète et injuste.


31 Octobre 2013