Thomas Savare, DG d'Oberthur Fiduciaire
E&D : Il est de plus en plus fréquent que les grands patrons ou les entreprises s'investissent dans le monde du sport. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Thomas Savare : Je crois qu’il ne faut pas voir là qu’une mode passagère ou un phénomène anecdotique. A mon sens, l’intérêt croissant des chefs d’entreprise pour le sport s’explique par des raisons plus fondamentales qui tiennent à ce qu’ils vivent au quotidien dans l’exercice de leurs responsabilités professionnelles. Avec la mondialisation, l’univers économique s’est considérablement durci. Et lorsque la compétitivité devient une condition de la survie, il est naturel de s’intéresser aussi aux compétitions sportives qui offrent un intéressant contrepoint !
D’autant que, dans le même temps, le sport s’est, de son côté, professionnalisé. Si bien que les analogies entre les univers sportifs et économiques se sont fortement renforcées. Le sport offre une modélisation des défis que doivent relever les entreprises. Le rugby, que j’affectionne bien sûr tout particulièrement, mobilise des valeurs positives et des compétences également cruciales au travail : esprit d’équipe, sens stratégique, goût de la compétition, développement des performances collectives, libération des talents individuels…
D’autant que, dans le même temps, le sport s’est, de son côté, professionnalisé. Si bien que les analogies entre les univers sportifs et économiques se sont fortement renforcées. Le sport offre une modélisation des défis que doivent relever les entreprises. Le rugby, que j’affectionne bien sûr tout particulièrement, mobilise des valeurs positives et des compétences également cruciales au travail : esprit d’équipe, sens stratégique, goût de la compétition, développement des performances collectives, libération des talents individuels…
Le sport est donc devenu pour vous une source d’inspiration qui nourrit votre pratique professionnelle ?
Oui, et tout particulièrement dans le domaine du management. Mon engagement au service d’un club de rugby me rappelle une vérité qu’il ne faut jamais perdre de vue lorsque l’on dirige une entreprise : qu’ils soient en maillot et chaussures à crampons, en col blanc ou en bleu de travail, ce sont avant tout les hommes qui déterminent la performance des organisations. Le rugby me semble d’ailleurs singulièrement intéressant de ce point de vue parce que c’est un sport qui conjugue, plus que tout autre, l’engagement personnel et l’esprit d’équipe. Au rugby, il faut tout donner mais sans jamais oublier que l’on est rien sans ses quatorze coéquipiers. Pour gagner au rugby, il faut impérativement passer le ballon… Et bien sûr cela vaut aussi dans l’entreprise où, après avoir mis l’accent sur la performance individuelle et la compétition interne, on redécouvre les vertus de la coopération et de l’intelligence collective.
D'accord pour les valeurs et les qualités. Mais le monde de l'entreprise et le sport de haut niveau ne connaissent-ils pas, a contrario, les mêmes dérives et les mêmes excès ?
Je sais que la professionnalisation du rugby a ses détracteurs, que certains regrettent le temps où il s’agissait encore formellement d’un sport amateur et s’inquiètent des dérives que pourraient provoquer l’irruption de l’argent dans cet univers. Je comprends ces réticences… Mais cette évolution a aussi permis d’améliorer considérablement la qualité du jeu, la préparation des joueurs et la valorisation des talents. Ne nous leurrons pas : les clubs ont toujours cherché à progresser. Ils ont toujours visé l’excellence. Lorsque nous leur donnons les moyens de poursuivre cette quête, nous contribuons à une dynamique naturelle davantage qu’à une quelconque rupture.
D’ailleurs, cet engagement permet parfois aussi de sauver des clubs qui ont une longue histoire et qui, de fait, appartiennent un peu aussi à leurs supporters. Pour autant, il faut, c’est vrai, se prémunir des excès. Dans l’entreprise comme dans le sport, ce sont les excès qui nuisent et qui choquent à juste titre. On le voit aujourd’hui : il y a dans certains milieux financiers et sportifs un décrochage entre la valeur et la performance réelle. Par chance, le rugby est encore préservé de ces dérives. Et je me battrai pour qu’il le reste. Je le répète: je ne me serais pas investi dans le Stade Français, s'il n'y avait pas eu de salary-cap, et je m'en irais s'il n'y en avait plus.
D’ailleurs, cet engagement permet parfois aussi de sauver des clubs qui ont une longue histoire et qui, de fait, appartiennent un peu aussi à leurs supporters. Pour autant, il faut, c’est vrai, se prémunir des excès. Dans l’entreprise comme dans le sport, ce sont les excès qui nuisent et qui choquent à juste titre. On le voit aujourd’hui : il y a dans certains milieux financiers et sportifs un décrochage entre la valeur et la performance réelle. Par chance, le rugby est encore préservé de ces dérives. Et je me battrai pour qu’il le reste. Je le répète: je ne me serais pas investi dans le Stade Français, s'il n'y avait pas eu de salary-cap, et je m'en irais s'il n'y en avait plus.
La relation que vous entretenez avec vos collaborateurs est-elle comparable à celle que vous entretenez avec vos joueurs ?
Oui, d’une certaine façon puisque, dans les deux cas, il faut tenir compte de l'aspect culturel, avoir le sens de l'écoute, décortiquer le fonctionnement de l'humain, les ressorts de la motivation… Dans l’entreprise comme dans le sport, la diversité est à la fois un atout et un défi pour le management. L’enjeu crucial est de préserver la confiance mutuelle, la cohésion, le sentiment d’une aventure partagée et même un certain sens de l’épopée… Pour y parvenir, le rôle du leadership et du management est prépondérant. Fort heureusement au sein du Stade français comme au sein d’Oberthur Fiduciaire nous sommes grandement aidés par l’histoire et l’identité forte de ces structures. Au sein de l’un comme de l’autre, chacun a le sentiment d’être le dépositaire d’une tradition prestigieuse qu’il faut faire perdurer. C’est un atout immense que je m’attache à préserver.
A propos du sport comme de l’entreprise, vous mettez essentiellement l’accent sur l’aspect humain… N’est-ce pas surprenant de la part d’un ingénieur de formation ?
Attention, je ne renie nullement ma formation d’ingénieur ! Bien au contraire, je peux mesurer chaque jour combien elle me permet d’être à l’aise dans la complexité qui caractérise aujourd’hui l’univers économique comme le monde du sport. Il faut apprendre à gérer simultanément une quantité croissante de données et prêter attention à une multitude de facteurs avant de prendre des décisions. Tout change, tout évolue, rien n’est jamais acquis et, pour tous les décideurs, la routine est proscrite. Ma formation scientifique m’aide indéniablement à gérer cette situation, à modéliser les enjeux, à élaborer des stratégies. Car bien sûr, je ne perds pas de vue l’importance cruciale de la stratégie… Un club ou une entreprise qui fait de mauvais choix stratégiques ne parviendra jamais à ses fins. Or, au rugby comme dans la compétition économique, les combinaisons stratégiques sont innombrables !
Si vous deviez définir d’un mot le trait d'union entre le monde de l'entreprise et l'univers sportif ?
La passion ! Dans l’entreprise comme dans le sport, rien de grand ne peut s’accomplir sans passion. Philippe Sella, ancien capitaine du XV de France, estime que « ce qui distingue un champion du monde, ce n'est pas tant le jeu ou la technique que l'engagement mental ». Rien n’est plus vrai ! Je l’ai maintes fois vérifié : pour marquer un essai, pour aller déposer le ballon derrière la ligne comme pour décrocher un contrat ou inventer un nouveau procédé de fabrication, il ne faut pas seulement des compétences, il faut aussi de l’envie. Voilà pourquoi les bons managers sont, avant tout, ceux qui parviennent à entretenir chez leurs coéquipiers ou collaborateurs l’envie d’aller de l’avant, de créer et de gagner.